Pourquoi certains ont peur de Achoura ?

Le premier Mouharram correspond au premier jour de l’année lunaire musulmane. Cette année, les Musulmans ont fêté l’an 1437 dans la nuit du 13 octobre. Ce mois est aussi sacré que le mois du Ramadan, puisqu’il a des significations suprêmes chez les différentes communautés musulmanes.

À partir du deuxième jour, les Musulmans chiites d’Ali (as) débutent une série de commémoration jusqu’au jour l’Achoura, 10e jour du mois sacré de Mouharram et continueront de célébrer pour les 40 prochains jours. Les Musulmans chiites se donnent rendez-vous à Kerbala, en Irak, pour le pèlerinage annuel afin de revivre la passion de la famille du prophète, décimée et torturée par l’armée omeyyade.

Cette fête est le véritable symbole du schisme islamique, de la polarisation des deux courants de l’islam et révèle les symptômes de la fièvre que ressentent certains extrémistes vis-à-vis de la minorité chiite d’Ali (as) opprimée, partisane de la famille du prophète.

Si « l’Achoura » est une fête à double définition, malheureusement, ils sont des millions de Musulmans à ignorer son sens. La droite religieuse, notamment salafiste, balaie et réécrit sans cesse l’Histoire afin de banaliser la tragédie islamique de cette « fête ». Vous n’aurez qu’à veiller sur les médias islamiques sunnites et écouter les sermons des religieux de la droite religieuse pour discerner la propagande anti-chiite (qui tend soit à réécrire le contexte soit à excuser les criminels de l’époque, notamment les Omeyyades et leurs entourages).

« Achoura » est le jour de la catastrophe islamique. Le jour où la famille du prophète a été décimée par l’armée sanguinaire omeyyade. Le calife de l’époque exigeait du petit-fils du prophète (Hussein) une allégeance, afin de faire taire les opposants. À la demande des citoyens irakiens de l’époque, l’imam décide de quitter Médine pour la ville de Kouffa (Irak), pour y régner et combattre l’empire omeyyade.

Lorsque Yazid (le calife) apprend le départ de l’imam Hussein avec ses 72 compagnons, il donne l’ordre de les empêcher d’atteindre la terre d’Irak, où l’imam y était populaire et où il constituera une force hautement impondérable. L’armée d’Yazid arrive à encercler la famille du prophète et ses compagnons, dans une terre appelée Kerbala. La catastrophe était imminente et l’intention de l’armée du Calife n’était point pacifique, comme le prétendent aujourd’hui certains prédicateurs.

Le résultat de ce siège attise encore la souffrance des Musulmans, même après 14 siècles. De toute la caravane, seul un homme survécu, Ali Ibn Hussein, puisque sa santé ne lui permettait de prendre part à la bataille. C’est aussi par lui que la descendance du prophète Mohammad (sa) se perpétue, ainsi que la ligne des imams chez les chiites d’Ali (as).

Aujourd’hui, dans l’ensemble du monde sunnite, cette catastrophe ne figure pas dans les cahiers d’Histoire, elle est ignorée parce qu’elle rend mal à l’aise tout Musulman sincère dans ses sentiments. L’amour que les Musulmans portent à leur prophète est inestimable, il est donc aussi valable pour sa noble famille.

Le monde musulman a créé un tabou autour de la succession du prophète afin de ne pas froisser la mémoire des Califes bien guidés et surtout pour ne pas remettre en cause certains dogmes religieux qui ont été constitués par la suite.

Si l’on réduit la succession du prophète à la simple équation politique, alors on s’égard du vrai sens du sermon d’Adieu à Ghadir Khom. Le prophète Mohammad (sa) a présenté son cousin et gendre Ali (as) comme seul successeur religieux et politique pour paraphraser l’Islam mahométan. D’ailleurs, plusieurs cas où problèmes religieux ont été résolus sans consentements avec l’imam et seule légitime référence après la mort du Mohammad (sa). Plusieurs paroles et hadiths du prophète pointent le savoir de l’imam Ali (as) comme l’extension de celle de son cousin Mohammad (sa).

Accepter l’erreur de nos anciens savants, compagnons du prophète et leurs entourages envers la succession et ensuite envers l’imamat naturel de la descendance du prophète, équivaut à revoir un nombre incalculable de décisions religieuses et de croyances, ce qui instaurera un doute et un tremblement dans l’establishment religieux sunnite. Cela risque d’allumer une révolution islamique, encore plus spectaculaire que celles qui ont suivi le massacre de Karbala…

En toute honnêteté, il y a un vide dans l’apprentissage sunnite de l’Histoire islamique et un manque d’impartialité dans le traitement des données historiques. Cela est causé par la déficience et l’absence de formations religieuses, qui ne sont nullement obligatoires afin d’exercer le métier d’imam, mais aussi à cause de la politisation de la religion, tout simplement, au profit d’une caste sociale arabo-musulmane, hiérarchisée économiquement, religieusement sectaire, endogame dans le savoir et hermétique. La plupart du temps, cette caste préfère garder la population aux mains de prédicateurs populistes et malhonnêtes… Vivement, une révolution culturelle et islamique.

Les instances sunnites balaient ou déforment l’histoire de cette fête par peur que les fidèles soient touchés émotionnellement et adoptent l’islam axé sur la pratique telle qu’enseignée par la famille du prophète et les savants qui s’y inspirent.

Les instances religieuses et politiques sunnites se méfient de l’expansion du courant d’Ahl bayt des chiites d’Ali (as), tout simplement. Néanmoins, certains savants et religieux, à l’instar de l’imam Adnan Ibrahim, Farhan Al-Maliki, réécrivent et réorientent les jeunes musulmans vers un Islam juste, moderne dans l’interprétation, accueillant, pacifique, humble à accepter ces défauts historiques et capable d’aller en avant avec une vision inclusive des communautés musulmanes…

Cela dit, la crispation salafiste envers cette nouvelle ère risque de rendre la tâche beaucoup plus ardue.

Certains pays s’empressent de mettre sous-scellé des organismes religieux suspectés d’enseigner le chiisme aux fidèles. Le Maroc, dont la famille royale se déclare tout de même descendante de Fatima al Zahra (fille du prophète, épouse d’Ali Ibn-Abi-Taleb et mère de l’imam Hussein), connaît une vague d’anti-chiisme sans précédent. Le tout sous la bénédiction de l’état marocain et le pouvoir islamiste en place, tous les deux à la solde des royaumes wahhabites du golfe persique. Pire, le monarque marocain est allé jusqu’à menacer, d’une manière à peine voilée, tout prosélytisme autre que celui du courant islamique du pays….

Est-ce que les vérités se dissimulent? Quelle foi se valorise-t-elle en rabaissant une autre? Est-ce raisonnable de priver des fidèles d’afficher publiquement leur foi? Il ne s’agit pas là de favoriser une école de pensée sur une autre, mais de la justesse des faits historiques.

Walid Nassef

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